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Cahiers du Cinéma
15/03/01



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La méprise
Jérôme Larcher

La logique de Matthieu est celle du refus. Il se retrouve tel un héros solitaire, à refuser la mort de son père, là où les autres restent silencieux.

Selon Matthieu déçoit tant il paraît convenu. Jusqu'alors, aimer les films de Xavier Beauvois relevait de l'art du funambule. Ses films étaient discutés, créaient de l'empoigne et du débat, car, au fond, ils résumaient à eux seuls tout ce que l'on peut reprocher au fameux jeune cinéma français et tout ce que l'on peut en attendre et espérer. Il est vrai que N'oublie pas que tu vas mourir était un film qui n'avançait pas tranquilement ( Nord, au contraire, avait la limpidité cinglante des premiers films), qui paraissait confus mais d'une confusion qui abritait beaucoup d'audaces. Il fallait en accepter un goût un peu trop immodéré pour les clichés, une manière courtisane de faire cinéma d'auteur qui débouchait sur des moments parfois sidérants de beauté. Du cinéaste, on aimait ce mélange d'arrogance, cette belle assurance, et d'inquiétude qui allait si bien avec le romantisme naïf et troublant de N'oublie pas... Selon Matthieu va cette fois mettre tout le monde d'accord, même s'il continue de provoquer quelques polémiques, notamment aux Cahiers; certains feront mine de détester cela, d'autres le défendront, tous ont leurs raisons, mais voilà que ce film est, comme on dit, juste pas mal, sans plus.
Le film est scindé en deux parties. La première montre Mathieu, jeune ouvrier travaillant dans une usine en compagnie de son père et de son frère, au sein de sa famille pour qui il éprouve un attachement sans bornes. Le père se fait licencier de l'usine après vingt-cinq ans de service parce qu'il a seulement fumé une cigarette. Peu de temps après, il se suicide ou il a un accident, Beauvois, de manière très belle, prenant garde de préserver le mystère sur ce geste qui appartient au père seul. On en vient alors à la deuxième partie : par vengeance, Matthieu va coucher avec l'épouse du patron. La logique de Matthieu est celle du refus, il se trouve tel un héros solitaire, étant le seul à refuser cette mort là où les autres restent silencieux. Son frère lui dira d'ailleurs qu'il n'est pas réaliste, sauf que question réalisme, sur le plan de la vraisemblance du moins, le film se pose là, faisant par exemple de ce licenciement un simple macguffin, rapidement évacué. Entre la première et la deuxième partie, il y a donc, un rapport de cause à effets, et là où le film agace, c'est précisément sur la mise en scène des effets. Au point que l'on ne comprend jamais vraiment où le film veut en venir. Est-ce que Beauvois veut montrer que le projet de Matthieu est au fond pathétique? On n'en sait rien, ou l'on s'en doute, le problème est qu'il ne se passe dès lors plus grand chose. Pas tant à cause du discours, l'impossibilité d'une union entre une bourgeoise et un prolétaire, même si celui-ci paraît simpliste au fur et à mesure que le film avance mais plutôt parce qu'il ne donne forme à rien, à rien en tout cas qui ne soit prévisible et lourd de sens. Les dialogues sont ainsi souvent d'une très grande pauvreté. Comme ce moment pendant lequel le personnage de Nathalie Baye regrette la présence surles falaises de camping-cars qu'elle trouve laids ; Matthieu lui dit alors qu'elle est cynique et que tout le monde ne peut s'offrir une chambre dans un palace. Un partout, la balle au centre, et alors ? Alors rien, ces deux-là coucheront ensemble, lui la prendra par derrière, comme il se doit pour que cela reste en phase avec le sujet. Et alors ? Alors rien, cette partie du film laisse totalement indifférent.
On objectera que le film parle du ratage. Mais, de ce ratage, on ne voit jamais trace à l'écran si ce n'est celui du cinéaste à mettre en forme ce sujet ambitieux. pourtant Selon Matthieu comporte presque discrètement plusieurs scènes splendides, comme celle où Matthieu après avoir rêvé d'être puissant, se réveille confus parce qu'il a pissé au lit, une scène très forte qui révèle a contrario le sujet profond et pas filmé du film. Ou encore toutes les séquences qui mettent en scène Matthieu et son frère (Antoine Chappey, très juste), notamment pendant la poursuite finale. Ces scènes sont souvent muettes et révèlent une inspiration américaine (confirmée par le jeu de l'épatant Benoît Magimel) inédite chez ce cinéaste, particulièrement doué quand il s'agit de filmer les gestes, quelque chose de plus organique, moments d'autant plus beaux qu'ils sont montrés bruts et sans aucun discours. Enfin.

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