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Libération
14/05/01



 en savoir plus sur SOBIBOR, 14 OCTOBRE 1943, 16 HEURES
 en savoir plus sur Claude Lanzmann
 en savoir plus sur LANZMANN, Claude Un vivant qui passe/ Sobibor, 14 octobre 1943, 16h
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Lanzmann revient sur la Shoah à « Sobibor »
Antoine de Baecque

HORS COMPETITION. La révolte, en 1943, des prisonniers du camp d’extermination.

Plus de vingt ans après la conversation enregistrée pour Shoah, en 1979, Claude Lanzmann revient vers Yehuda Lerner. Qui méritait à plus d’un titre ce film en forme de retour : à 16 ans, il fut l’un des acteurs de la révolte des Juifs du camp polonais d’extermination de Sobibor. Le 14 octobre 1943, à 16 heures précises, il foudroya un officier allemand d’un coup de hache, imité au même instant par quelques-uns de ses camarades qui tuèrent ainsi la vingtaine de soldats qui les gardaient, permettant aux déportés de fuir dans les bois.

Rusé, ému, tiraillé. On retrouve Lerner, trente-six ans plus tard, lorsqu’il raconte son histoire à Lanzmann, souvent cadré de très près, rusé, ému, tiraillé cependant par un tic qui déforme régulièrement la commissure de ses lèvres, à gauche, dernière trace, peut-être, des angoisses et des traumatismes traversés. L’an dernier, Lanzmann décide de retourner sur les traces de cette révolte. Yehuda Lerner est désormais remplacé par le cinéma.

Son absence s’est faite présence d’un film dans le film, tourné aujourd’hui sur les empreintes du passé : les villes où il vécut, en Pologne, celles qu’il traversa comme déporté, Minsk par exemple, les paysages qui longeaient ses incessants déplacements, dans les trains de la mort, la gare de Sobibor où il arriva en septembre 1943, les baraquements où se fomenta la révolte, la forêt, enfin, où il trouva refuge. Ces traces visuelles sont un manifeste, au même titre que la voix de Lerner qui raconte. Pas de poésie après Auschwitz, certes, mais du cinéma, oui : la Shoah devient elle-même la possibilité de ces paroles et de ces images.

Ballet de voix. C’est, par exemple, la manière dont Lanzmann écoute Lerner. Cette façon de le recadrer, au moment où il mime le geste qui lui permit, longtemps auparavant, de fendre le crâne de l’officier nazi ; ces travellings sur les rails, sur les paysages, sur les arbres, qui reprennent à distance les visions des déportés. De même, le ballet des voix dans le film, composé par celles de Lanzmann, de Lerner, et de la traductrice, qui se répondent, s’attendent, se cherchent, s’écoutent. Jusqu’à ce troupeau d’oies blanches qui, près de soixante ans plus tard, couvrent toujours de leurs piaillements les cris des Juifs exterminés.

Ces mouvements, ces voix, ces bruits, proposent une mise en scène : celle qui fait revenir du passé et de la mort, tout en refusant de nier ce passé et cette mort. Car le temps est passé, les corps ont vieilli, la gare est délabrée, l’herbe a poussé, mais le cinéma propose une expérience inégalée de cette présence de la mort, qui revient jusqu’à nous par les gestes et les paroles de la vie.

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