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L'Humanité
09/03/01



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Les damnés de l'artère
Michel Guilloux

Dans Etat des lieux, son premier film coréalisé avec Patrick Dell'Isola, Jean-François Richet mettait en scène un jeune mécano, ouvrier doté d'une conscience de classe à toute épreuve. Dans le concert visant presque à transformer la "banlieue" en nouvelle mode cinématographique, cela sonnait comme un coup de pistolet.
Avec Ma 6.T va crack-er, il fait vivre à l'écran ceux à qui l'on ne donne jamais la parole ; ou alors sous forme de clichés tous plus démagogiques les uns que les autres - que ce soit vu par celui qui est presque complexé de ne point être natif de ces contrées populeuses ou celui qui s'arroge le droit de parler à leur place parce qu'il y est vraiment né, sans oublier le plus commun : les fantasmes vehiculés par nombre de reportages télévisuels. De la complaisance au zoo, même démagogie. Ces jeunes-là ne sont pas "angoissés par l'avenir". Ils n'en ont pas. Ils le savent. A défaut d'avoir les moyens de vivre, ils survivent. Ils s'appellent galériens. Leur fleur d'infamie est tout autant le nom de leur cité, la couleur de leur peau, leur âge, leurs habitudes vestimentaires, et leurs décidément "mauvaises" manières. Tout cela est aussi efficace que le tatouage au fer rouge d'antan. 
On pourrait se dire que si Jean-François Richet avait passé quelque temps à se rôder dans le court métrage, au "plan cinématographique" son propos n'aurait que plus de force. Seulement voilà, il n'en a rien à foutre. Il connaît le cinéma. On voit à chaque fois, en générique final, ses spécial dédicaces à une dopée de cinéastes qui vont d'Eisenstein à Dziga Vertov en passant par Ford. Forfanterie ? Que nenni. En deux films, le jeune homme impose un ton singulier, qui lorgnerait moins du côtè du cinéma de propagande que du coup de poing, dessinant comme une alternative à celle existant, en rap, entre les groupes de la côte ouest des Etats-Unis et ceux que l'on retrouve, en France et sur la bande originale de Ma 6.T... ; pas du gangsta'movie mais du cinéma hardcore ; ce n'est pas tout à fait pareil. Et Richet connait aussi la musique. 
Rarement, si ce n'est pour la première fois - supériorité de la fiction sur le reportage -, on sentira, vu, vécu de l'inténeur, ce qui peut amener ces jeunes-là, des jeunes d'aujourd'hui à réagir violemment, par l'émeute, à ce que la toléranœ à l'inadmissible a pris coutume d'appeler "bavure".

Cela se passe à Meaux, cité Beauval-Collinet, Seine-et-Marne, France. D'un côté, trois ados (dont Arco Descat C., coscénariste), virés du collège ; au-dessus leurs aînés de dix ans, qui traînent le soir en bas des immeubles de leur cité. On devine des trafics, règlements de comptes ; on voit les étapes balisées de leur parcours quotidien : le joint qui circule, le pitbull abruti, les bouteilles chouravées au supermarché du coin, la boîte comme eldorado du samedi soir. Et, déjà, une différence sensible entre les deux générations ; les petits frères paumés qui se la surjouent macho ont encore moins bien accès à un circuit de "consommation" déjà fort déprécié. Les plus grands peuvent s'exercer à la Total Recall grandeur nature à coups de rafales masturbatoires, ce sont les petits qui prendront la balle tirée par un flic sur un parking désert ; et la cité de s'embraser face aux CRS qu'on leur envoie. 
Répétons-le, sur ce plan-là, seuls ceux qui ne veulent ni voir ni entendre ni comprendre ne verront, n'entendront, ni ne comprendront. Certes, le temps d'installation - soit environ les trente premières minutes - pèche par la faiblesse d'employer des acteurs amateurs mal à l'aise dans l'interprétation de leurs propres rôles ou de ce qu'ils en connaissent dans leur vie. Certes, par moment, brefs, quelques dialogues peuvent sonner faux. Certes, on peut être agacé par la fascination qu'exercent les armes sur la vision de la révolution de Richet, comme s'il courait après une réalité qui le dépasse en tentant de recoller les morceaux par d'obsédant et superflus gros plans sur les écussons marqués "police nationale". Oui. Mais ce film-là pose un terrible et vrai constat. Qu'il ne faudrait pas confondre tout à fait avec le point de vue du cinéaste. Les filles sont absentes de ce milieu de mecs ; mais celles qu'on rencontre à l'écran, qui travaillent, étudient, dessinent un autre contour à une réalité que tous vivent. Les "marges" d'une société en disent autant sur son état ; et quand elles atteignent ces proportions... Maniant le montage parallèle et une caméra obsédante - comme l'ordre social qui entend les exclure de leur propre vie - encerclant littéralement ses protagonistes, le réalisateur a adjoint une bande son des plus percutantes à des scènes d'autant plus suffocantes que la musique est douce et les paroles des chansons d'une rare maturité - voir l'entrée dans la danse des compagnies républicaines de sécurité. Ma 6T va cracker ou comment est bien huilé l'engrenage exclusion-répression.

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